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Recrudescence du viol en Guinée : plus de 1000 cas enregistrés en 3 ans

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[dropcap]L[/dropcap]e phénomène du viol et ses pesanteurs socioculturelles préoccupent les Guinéens. Et pour cause ? Le cas de M’Mah Sylla, née le 6 mai 1993, décédée le 20 novembre 2021 à Tunis où elle avait été évacuée pour des soins, fait la Une de l’actualité. Ses présumés bourreaux, trois médecins, sont inculpés notamment pour «viol, avortement et administration de substances nuisibles».

Face au fléau, les victimes bénéficient du soutien et de l’accompagnement des institutions et organisations de défense des filles et des femmes qui savent mieux que quiconque ce qu’en dit et prévoit la loi en vigueur. Et comment reconnaître le profil d’un potentiel violeur, pour que ce crime ne soit plus banalisé dans la société.

En son article 268, le Code pénal guinéen définit le viol comme «tout acte de pénétration sexuelle, de quelle que nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par vioence, contrainte ou surprise». Les statistiques de l’Office de protection du genre et des mœurs (OPROGEM) en matière de viol sont inquiétantes avec 1007 cas enregistrés en 3 ans.

En 2018, 116 cas de viol ont été enregistrés dont 109 déférés devant les juridictions compétentes. En 2019, le nombre total culmine à 393 cas dont 294 étaient de viol sur mineures. Tandis que 256 cas étaient commis par des hommes de plus de 18 ans contre 136 auteurs mineurs.

En 2020, l’office a enregistré moins de cas que l’année précédente. Sur les 368, enregistrés dont 130 à Conakry, 279 victimes avaient moins de 18 ans alors que 255 cas ont été commis par des hommes de plus de 18 ans.

Durant le premier semestre 2021, l’OPROGEM a notifié 130 dont 110 déférés et 79 cas étaient sur des mineures. 86 cas de viols ont été commis par des hommes de plus de 18 ans.

De la médecine légale

Dr Amadou Mouctar Diallo est médecin légiste au CHU Ignace Deen. Il explique les procédés « multiples » et parfois « complexes » lorsqu’ils reçoivent de cas d’agression sexuelle. «Quand nous recevons de cas d’agression sexuelle sous toutes ses formes, nous effectuons d’abord un examen systématique d’urgence de la victime. On essaie de rassurer la victime parce que si c’est une victime dans la réalité des agressions sexuelles, elle est déjà traumatisée même si elle a un âge majeure à plus forte raison si c’est une mineure. Pour la plupart de cas, le premier contact est effectué par le personnel féminin pour une question d’approche, mais ça peut être très compliqué parfois», explique Dr Diallo avant de recommander à toute victime de viol d’aller se faire consulter dans un bref délai au risque de compromettre le dossier devant la justice.

«Le délai escompté est de 72h maximum, de préférence sans même une toilette intime parce que lorsqu’il n’y a pas de toilette, on a la possibilité de, non seulement, voir les légions, mais aussi les sécrétions du présumé auteur car, il est particulièrement rare de voir une agression sexuelle avec un port de préservatif. Cette sécrétion et les légions comptent beaucoup dans l’examen médico-légale», souligne le spécialiste

Les victimes doublement traumatisées

En plus du traumatisme psychologique dû à l’agression sexuelle, les victimes subis[1]sent les pesanteurs socioculturelles. «Ce phénomène de recrudescence de viol s’explique en grande partie par l’influence des pesanteurs socioculturelles dans notre pays. Les victimes subissent d’énormes pression pour ne pas venir nous voir, la peur d’être pointées du doigt par la communauté les empêchent de dénoncer les auteurs», explique le sous-lieutenant Sékou 2 Camara, commandant de la Brigade spéciale de protection des personnes vulnérables (BSPPV).

Le profil d’un potentiel violeur

«Le plus souvent, le violeur ne vient pas de loin. Il est soit un voisin de la victime ou un parent parfois même ils ont le même tuteur et vivent dans la même maison. Dans ce cas, il est très difficile de contrôler les mouvements de l’enfant. La plus part du temps, les bourreaux commencent leur rapprochement avec des petits cadeaux, en considérant les victimes comme leurs petites femmes, histoire de les rassurer afin qu’il n’y est plus de barrière entre eux afin de pouvoir les attirer dans leurs maisons sans éveiller de soupçon de la part des parents. Après, ils effectuent leurs sales besognes», souligne le commandant de la BSPPV.

Le viol, un crime

Le Code pénal guinéen est clair, le viol est un crime puni à la réclusion criminelle de 5 à 10 ans, selon l’article 268. La même disposition précise « le viol est puni de la réclusion criminelle de 10 à 20 ans : 1. Lorsqu’il a entrainé une mutilation ou une infirmité permanente ; 2. Lorsqu’il est commis sur un mineur de moins de 18 ans ; 3. Lorsqu’il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou mentale, ou à un état de grossesse apparente ou connue de l’auteur ; 4. Lorsqu’il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; 5. Lorsqu’il est commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confère ses fonctions ; 6. Lorsqu’il est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ; 7. Lorsqu’il est commis avec usage ou menace d’une arme ; 8. Lorsque la victime a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique ; 9. Lorsqu’il est commis en concours avec un ou plusieurs autres viols ;10. lorsqu’il est commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de stupéfiants ; 11.lorsqu’il est commis suite à l’administration de substances de nature à altérer le consentement de la victime ».

Et l’article 269 stipule : «Le viol est puni de la réclusion criminelle à perpétuité : 1. Lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie; 2. Lorsqu’il a en[1]trainé la mort de la victime».

Que dit la loi lorsque le violeur est mineur ?

N’fally Sylla est le président du tribunal pour enfant. Il explique qu’un enfant en conflit avec la loi est traité comme tel. « Il a des droits qui lui sont garantis par le Code de l’enfant, mais étant en conflit avec la loi, il fera l’objet de procédure régulière parce que le viol est criminel. Il peut être placé en détention préventive s’il a plus de 13 ans. En dessous de 13 ans, on ne peut jamais faire l’objet de détention dans une maison d’arrêt», explique M. Sylla.

L’article 24 du Code pénal dispose que «Les faits commis par un mineur de moins de 13 ans ne sont susceptibles ni de qualification ni de poursuites pénales. Ils ne peuvent faire l’objet que de me[1]sures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation prévues par la loi. Le mineur de 13 ans bénéficie de droit, en cas de culpabilité de l’excuse absolutoire de minorité.»

Le même texte dispose que l’excuse atténuante de minorité bénéficie aux mineurs de 16 à 18 ans dans les conditions prévues par le Code de l’enfant. Et qu’en matière de crime et délit, l’excuse atténuante de minorité produit les mêmes effets que les circonstances atténuantes.

L’influence des pesanteurs socioculturelles

«Quand la victime demande l’arrêt de la procédure, la loi demande de le faire mais ce n’est pas valable dans le cas du viol. Dans un cas de viol quelle que soit la négociation, nous, agents de police judiciaire, on prend le désistement de l’intéressé et on l’envoie chez le procureur. C’est à lui de décider. Il y a beaucoup qui préfèrent régler les cas de viol à l’amiable avec l’intervention des imams ou sages, ça s’explique par les pesanteurs socio[1]culturelles ce qui fait que si nous de la Brigade ou l’OPROGEM ne sont pas au courant, on ne peut pas intervenir», déplore lieutenant Sékou 2 Camara.

Le viol, un crime banalisé

Avocate et membre du Conseil de l’ordre, Me Halimatou Camara travaille également dans le cadre de l’assistance judiciaire et de l’accompagnement des victimes avec la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (Fidh) et l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH).

«Il y a surtout un problème de conscience collective qui explique aujourd’hui que les gens qui sont censés parfois poursuivre les auteurs de viol ou rendre des décisions en la matière, font ce qu’on appelle une espèce de banalisation parce qu’ils n’appliquent pas les textes des lois qui existent et ça c’est extrêmement problématique», dénonce-t-elle.

En matière pénale, il y a les contraventions, les délits et les crimes, explique l’avocate. «Le viol est considéré comme un crime au même degré qu’un meurtre ou un assassinat etc», précise Me Halimatou. «Quand un viol survient, la première personne qui doit pouvoir intervenir est en réalité le médecin légiste. Aujourd’hui, dans la pratique, on veut que la victime de viol, avant d’aller voir un médecin légiste ou un gynécologue, dans la pratique judiciaire guinéenne, on veut que la victime aille d’abord devant un officier de la police judiciaire déposer une plainte. On lui remet un papier qu’on appelle ‘‘de par la loi’’ qu’on obtient en payant 50 mille Gnf et c’est ce papier qui vous permet d’aller voir un médecin légiste. Pour pouvoir se faire ausculter, la victime doit payer 50 mille Gnf. Là déjà, il y a un problème d’accès à ce service qui se pose parce que ce document est obtenu contre de l’argent. Donc sur le plan même de l’accès au service de médecine légale, il y a une problématique parce que les victimes de viol sont, non seulement, soumises à des blessures et séquelles physiques et psychologiques. La primauté souhaiterait que la prise en charge médicale et psychologique soit privilégiée avant d’entamer la procédure judiciaire qui reste tout de même indispensable.»

Selon l’ONG Amnesty International, « le viol est un acte de torture dont l’État est responsable s’il ne fait pas preuve de la diligence requise pour empêcher, punir ou réparer le crime ». L’ONG souligne aussi que les lois relatives au viol sont souvent inadaptées et, dans beaucoup de pays par exemple, le viol conjugal n’est ni reconnu ni interdit.

Par Adama Hawa Bah

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