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Réduire le nombre de partis ? « Les défis réels de la Guinée : Au-delà du multipartisme »

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Au lieu de s’attaquer aux véritables problèmes auxquels le pays est confronté, certains voudraient, comme d’habitude, les contourner pour nous détourner de l’essentiel. Pendant les sessions qui se tiennent actuellement au siège du CNT sur l’orientation constitutionnelle, des voix et non pas les moindres se seraient élevées pour proposer la consécration de la limitation du nombre de partis politiques à deux ou trois dans la future Constitution de la Guinée.

Cette proposition, qui semble logique à première vue en raison des risques liés à la tribalisation des partis politiques, constitue cependant un affront à l’idéal démocratique auquel nous aspirons tous. Non seulement cette proposition enfreint la liberté d’association et à la pluralité des opinions qui sont des principes fondamentaux d’une démocratie, elle limite également le choix et la représentativité démocratique. Si cette proposition est prise en compte, elle favorisera sans aucun doute la dictature des partis qui seront imposés par l’on ne sait quelle méthode.

Pourtant, la Guinée ne souffre pas de multipartisme. Elle souffre plutôt de pauvreté, d’insécurité, d’inégalités sociales, d’injustice, de manque d’infrastructures, d’un système éducatif qui n’est pas adapté aux réalités du pays, et du manque d’accès aux services de bases tels que l’eau potable, l’électricité, les soins de santé, etc.

Tous ces défis sont liés à la mauvaise gouvernance, à la corruption au sommet de l’État, à l’injustice, à l’incompétence et au manque de vision de ceux qui dirigent la Guinée. Ces défis relèvent donc de la responsabilité de l’Etat qui a le monopole de la collecte et de la gestions des fonds publics. On ne peut donc imputer au multipartisme l’incapacité de l’Etat et de nos gouvernants à résoudre ces problèmes dans un pays qui n’a jamais connu d’alternance démocratique.

La Guinée n’a d’ailleurs connu le multipartisme qu’au début des années 1990, avec la tenue du referendum de 1990 et des premières élections multipartites de 1993, qui auraient été « remportées » par Lansana Conté, arrivé au pouvoir neuf ans auparavant à la suite du coup d’Etat de 1984. Avant ce coup d’Etat et l’avènement du CMRN au pouvoir à la mort de Sékou Touré, la Guinée n’avait connu le multipartisme que pendant la période coloniale.

Malheureusement, pendant les 26 ans qui ont suivi l’Indépendance, la Guinée a vécu sous la dictature du parti unique du PDG de Sékou Touré. Aucun débat contradictoire, ni aucune voix discordante n’étaient tolérés. Il n’y avait pas de liberté de presse, et les médias qui existaient à l’époque étaient tous des médias d’État qui ne servaient que d’outils de propagande du parti état (PDG) et de culte de la personnalité de Sékou Touré.

Durant les 24 années qui suivront la fin du régime du PDG, la Guinée ne connaitra pas non plus  un véritable multipartisme. Sous le régime de Lansana Conté et même après l’avènement de la « démocratie » en 1990, le multipartisme n’était qu’une façade, car le paysage politique et le pouvoir étaient complètement dominés par le PUP, le parti au pouvoir. La liberté de presse était restreinte, et les journalistes étaient régulièrement victimes d’intimidation, de violence physique et d’emprisonnement. Quant aux dirigeants et activistes politiques, ils étaient aussi victimes de harcèlement, de violences physiques, d’emprisonnement, d’enlèvement et même d’assassinat. Bah Mamadou et Alpha Condé, parmi tant d’autres, avaient été arrêtés et emprisonnés.

Par conséquent, il ne serait pas exagéré d’affirmer que pendant plus d’un demi-siècle, le pouvoir politique en Guinée a été dominé par deux partis-États : le PDG pendant 26 ans et le PUP pendant 24 ans. Le RPG avait essayé de s’inscrire dans la même logique sans grand succès, car les époques avaient changé sans qu’il ne s’en rende compte.

Aujourd’hui, il n’existe aucune véritable démocratie dans le monde où le nombre de partis politiques est constitutionnellement limité à deux ou trois. Même les Etats-Unis, souvent cités comme référence pour la limitation du nombre de partis politiques, sont en effet une démocratie multipartite. Bien que le paysage politique y soit dominé par deux grands partis politiques, le Parti Démocrate et le Parti Républicain, il y existe une multitude d’autres partis politiques, qui animent le débat politique. Le Parti Libertarien et le Parti des Démocrates Socialistes en sont des exemples.

Par ailleurs, au niveau local et dans les Etats, il existe d’autres partis politiques qui ne sont pas forcément représentés au niveau national. Le Bipartisme de facto, qui est aujourd’hui observé aux Etats-Unis n’est le résultat d’aucune législation. Il est simplement le résultat ou la conséquence d’une évolution naturelle du multipartisme, car au fil du temps, les partis ont tendance à converger et les électeurs ont tendance à migrer vers les partis les plus susceptibles de remporter des élections.

En Guinée, le processus de convergence vers deux ou trois partis était déjà en cours. Malheureusement, ce processus a toujours été ralenti par le pouvoir, qui pour affaiblir les grands partis de l’opposition, accordent une importance démesurée aux petits partis politiques. Le CNRD continue d’ailleurs d’utiliser la même tactique aujourd’hui pour affaiblir l’UFDG et l’UFR en accordant aux particules qui n’ont aucune représentation nationale crédible et aucune assise sur le plan national, la même importance que les partis d’envergure nationale.

La prolifération des partis politiques en Guinée est aussi le résultat de la primauté accordée aux partis politiques par la Constitution de 2010 dans ses articles 29 et 61. En effet, en interdisant les candidatures indépendantes aux élections nationales et en accordant de l’importance à des partis qui n’existent que sur papier, l’État a favorisé la création de partis politiques par tous ceux qui aspiraient concourir à un poste électif ou qui voulaient bénéficier des privilèges accordés aux détenteurs de partis politiques.

Au lieu donc d’imposer la limitation du nombre de partis politiques, l’Etat pourrait par le biais de la législation, autoriser les candidatures indépendantes. Cela éliminerait la nécessite de créer un parti pour participer à une élection. L’État pourrait également imposer des conditions aux partis politiques pour pouvoir bénéficier des subventions ou pour participer aux dialogues et aux négociations politiques. Parmi ces conditions, l’État pourrait par exemple exiger que le parti participe aux élections pour pouvoir conserver son agrément. À défaut, l’agrément serait suspendu, voire révoqué si le parti ne participe à aucune élection. L’Etat pourrait aussi exiger que le parti soit implanté dans un certain nombre bien déterminé de circonscriptions administratives, couvrant la majorité du pays, afin de continuer à exister.

Ces mesures permettraient de renforcer la démocratie encore balbutiante en Guinée et favoriseraient une réelle compétition politique entre des acteurs plus crédibles. Ces mesures encourageraient ainsi la représentativité démocratique sans pour autant exacerber la fragmentation excessive du paysage politique.

Cependant, si le souci est de réellement réduire le risque de tribalisation et de communautarisation des partis politiques, l’État devrait tout faire pour réduire la convoitise et la compétition pour la présidence du pays. Ceci ne serait possible que par la déconcentration et la décongestion du pouvoir central de Conakry et le transfert de pouvoirs réels vers les circonscriptions du pays. À défaut de bâtir une république fédérale à l’image du Canada, du Nigeria, des États-Unis, du Brésil, de la Suisse, et autres, l’État devrait procéder à une véritable décentralisation en donnant plus d’autonomie aux régions afin que nous puissions avoir plusieurs Conakry à l’intérieur du pays.

Si les gouverneurs de région ainsi que les maires ont une grande autonomie financière, il y aura moins de compétition ethnique pour la présidence. En plus, ceci favoriserait la proximité entre les gouvernants et les gouvernés. Personne n’attendrait du pouvoir central de Conakry qu’il vienne construire des écoles, des centres de santé ou qu’il fournisse l’eau potable et la sécurité aux citoyens de Yomou ou de Youkounkoun. Ainsi, chaque citoyen saura à qui demander des comptes si les routes du quartier iu du district sont mauvaises, s’il n’y a pas de sécurité, de centres de santé ou d’école, etc.

D’ailleurs, l’histoire de la Guinée et des empires médiévaux d’Afrique de l’Ouest nous montrent que le système décentralisé ou fédéral convient mieux aux africains que ce système hérité de la France. Les empereurs comptaient toujours sur leurs vassaux à l’intérieur de l’empire pour maintenir leur contrôle. Il en fut ainsi dans l’État précolonial du Fouta avec ses Diwè ou provinces.

Il faudrait par ailleurs instaurer le poste de vice-président en Guinée pour diminuer la communautarisation des partis et du pouvoir. Avec un vice-président choisi dans une région ou une communauté autre que celle du président, on donnerait ainsi une chance aux individus issues des minorités ethniques d’arriver à la présidence. C’est ce qui a par exemple facilité l’arrivée au pouvoir de John Mahama après le décès de John Atta Mills au pouvoir. John Mahama étant issu d’une minorité ethnique du Nord du Ghana, il lui aurait été presqu’impossible de gagner une élection s’il n’avait pas exercé le pouvoir en complétant le mandat de John Atta Mills.

Enfin, pour réduire le risque d’ethnicisation du débat politique, l’État devrait être équitable entre les fils et les filles du pays.  Lorsque chaque citoyen sera traité équitablement devant la Justice et dans la répartition des richesses et l’accès aux opportunités, il n’aura pas de raison à vouloir que celui qui dirige la République soit forcément un des siens. Le repli identitaire n’est que l’expression de l’échec de nos dirigeants dans la construction de la Nation guinéenne. Si chaque individu qui arrive au pouvoir ne se préoccupe que de sa personne et de son clan, la logique humaine voudrait que chaque clan se batte pour l’arrivé d’un de ses membres au pouvoir. Par conséquent la république ou la chose commune se vidant de son essence, les individus s’identifieront beaucoup plus à leur clan qu’à par la nation car la ‘’Res Publica’’ ou chose publique n’étant pas réellement commune.

Il est crucial de reconnaître que les véritables problèmes auxquels la Guinée est confrontée, tels que la pauvreté, l’insécurité, les inégalités sociales, l’injustice, le manque d’infrastructures, un système éducatif inadapté et le manque d’accès aux services de base, relèvent de la responsabilité de l’État et de ses dirigeants. Blâmer le multipartisme pour ces problèmes n’est qu’une simplification excessive qui détourne l’attention des véritables enjeux auxquels nos dirigeants devraient faire face.

Abdoulaye J Barry
ajbarry@live.com

Conakry, Guinée
Renaissance Africaine

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