Réflexion autour de la bonne utilisation des ressources publiques guinéennes d’un point de vue économique
[dropcap]J[/dropcap]e me suis décidé d’écrire ce texte suite aux incompréhensions suscitées par les propos du Ministre du Budget ces derniers jours sur la nécessité de ré-allouer le budget et de réviser nos dépenses fiscales suite aux efforts budgétaires supplémentaires engendrés par les négociations avec le SLECG.
Chaque crise devrait être l’occasion pour la société de revisiter son système, car le « bon » système devrait idéalement éviter à la société les crises, en tout cas les plus graves. Je comprends que ces annonces suscitent des débats, du coup fallait-il les faire ? La seule chose que je peux dire est que cela est conforme l’approche technocratique que tout le monde lui connait. Tout animal politique se serait caché face aux questions difficiles en attendant des moments plus opportuns.
Je souhaite que ce texte contribue à éclairer les citoyens guinéens sur la nécessité que l’Etat opère des vrais arbitrages en matière de gestion budgétaire et de gouvernance économique pour que notre pays puisse aller de l’avant en matière de croissance, de fourniture des services publics et de réduction des inégalités sociales.
En 2016, voici la situation de la Guinée comparée à celle des pays voisins en termes de PIB :
Les Etats prélèvent, souvent sous forme d’impôts et taxes, une partie de ces ressources pour subvenir aux besoins de populations en termes d’infrastructures et de services publics. On parlera alors de ressources publiques. Des pays comme le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont des potentialités de mobilisation de ressources plus importantes comparées à la Guinée. Quant à la Guinée, elle ne dépasse que très faiblement la Sierra-Leone et le Liberia (voir PIB par tête). Côte
Les ressources publiques d’un pays existent pour le bénéfice des citoyens qui cherchent à en obtenir le maximum de satisfaction. Mais quelles règles doivent être suivies pour réaliser une économie efficace et ainsi avoir le plus « gros gâteau » possible ? Comment le gaspillage peut-il être évité ? Bien que complexes, la réponse à ces questions peut être énoncée simplement : Il s’agit de produire au coût le plus bas possible les services et produits réellement demandés par les populations.
Les biens et services fournis par l’Etat à travers les services publics doivent tenir compte des préférences des individus qui composent la société guinéenne. Dit autrement, l’Etat doit satisfaire des attentes et des besoins, fournir ce qui est réellement demandé. Il n’est sûrement pas recommandable, par exemple, de fournir des sacs de riz importés à coup de subvention à des paysans qui en produisent souvent suffisamment à manger, car le riz ne serait pas créateur de satisfaction ou d’utilité. Plus grave, une telle allocation est source de gaspillage.
Dans un monde caractérisé par des droits de propriété bien définis et des coûts de transaction peu élevés, le commerce est un créateur de richesse. Les paysans qui sont propriétaires de riz (ou plus généralement des produits agricoles) seront heureux de l’échanger contre des produits plus proches de leurs préférences (ce qu’ils n’ont pas ou en produisent très peu) comme des habits, des médicaments, des outils de travail et de confort. Les échanges libres permettent d’accroître la satisfaction de tous les participants en réallouant les produits selon les préférences de chacun. C’est pourquoi, on ne devrait pas s’étonner de voir des militaires revendre leur surplus de riz, des paysans revendre le trop plein d’engrais fournis à des tarifs subventionnés, donc en dessous du prix du marché, par l’Etat.
Si l’efficacité dans la consommation requiert que les biens et services fournis soient réellement ceux demandés par les populations, l’efficacité dans la production des biens et services requiert que les coûts soient le plus bas possibles. Ainsi, pour éviter le gaspillage, il est nécessaire de s’assurer que toute utilisation d’une ressource ou d’un produit entraine un bénéfice au moins égal au coût de cette ressource ou de ce produit. Par exemple si un Kilowatt-heure (KWh) supplémentaire coûte 1450 GNF et qu’il est vendu au prix de 950 GNF, nous sommes en présence d’un gaspillage, la valeur de ce KWh pour les utilisateurs est inférieure au coût de production pour la société. On ferait mieux de les utiliser pour des produits dont la productivité est au moins de 1450 GNF, sinon on détourne l’emploi de facteurs qui valent 1450GNF vers une production qui en vaut moins, ce qui est un gaspillage[1].
Suivant la même logique, l’Etat devrait être très prudent dans la contractualisation de nouvelles dettes. Un emprunteur s’appauvrit si le taux de rendement du montant emprunté n’est pas supérieur au taux exigé par le prêteur. Il donc important de comparer les valeurs actuelles du rendement ainsi que celles du coût de l’emprunt. C’est pourquoi, il est souvent déconseiller de s’endetter pour financer les salaires ou le fonctionnement de manière générale.
Pour éviter les gaspillages de cette nature, il est nécessaire que l’Etat (Ministères et Etablissements publics) vérifie, à chaque fois qu’une politique ou action est initiée, si les résultats attendus valent leurs coûts. Dans une économie décentralisée, chaque agent est libre de choisir son panier de consommation, en fonction des prix relatifs des produits, tout en respectant sa contrainte budgétaire. Cette règle devrait d’une certaine manière valoir pour l’Etat, bien qu’il ne soit pas à confondre aux acteurs privés (entreprise ou ménage). Ainsi, l’absence de gaspillage est assurée par le recours à une tarification au coût marginal. Autrement dit, les décisions doivent tenir compte des prix de marché des biens et services. En conséquence, les décideurs publics devraient ajuster leurs décisions en fonction des vrais coûts qu’entrainent ces dernières.
L’existence d’un tarif domestique inférieur au coût marginal (prix de marché) entraine du gaspillage. C’est le cas dans plusieurs domaines en Guinée : l’électricité, l’éducation ou la santé. Prenons le secteur de l’électricité. Il est vrai que le taux de couverture reste faible. Ceci explique sans doute l’intervention, à l’origine, de l’Etat. Mais actuellement, le niveau de subvention est tel que les ménages ne sont pas incités à faire des économies dans leur consommation d’énergie. Il n’est pas rare de voir des ampoules allumées en pleine journée. Pire EDG, elle-même, n’est pas incitée à recouvrir efficacement le paiement de ses factures puisque l’Etat la subventionne pour couvrir des charges importantes et parfois compenser la consommation non payée par la population, y compris la composante riche. Il n’est pas bon, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises, qu’il n’y ait aucune dépendance entre la consommation et le prix à payer.[2] La gratuité totale ou les forfaits sont sources de gaspillage. Cela permet surtout les riches de profiter des pauvres qui méritent d’être aidés. En Guinée, il existe des localités ou des sociétés ne payent leurs factures d’électricité car elles évoluent dans des zones minières. Des particuliers aisés, donc plus grands consommateurs, sont au forfait comme les pauvres qui n’ont que deux ampoules. Les douaniers saisissent de trafiquants de carburant en partance de la Guinée pour les pays voisins, comme le Mali ces derniers jours.
Dans le secteur de l’enseignement universitaire, des problèmes semblables existent. Les subventions reçues par les universités n’ont aucun rapport avec les performances des Etablissements. Les étudiants étant disponibles, avec la jeunesse de la population guinéenne, il suffit d’avoir les murs pour « garder les jeunes » pour bénéficier des financements publics. Ces subventions « à vue » des établissements expliquent également, en partie tout au moins, les sérieux problèmes d’inadéquation entre l’offre et la demande dans le domaine de l’éducation. Avec ce mécanisme, les universités ne sont pas incitées à offrir des formations de qualité pour attirer les étudiants. Toujours dans le système éducatif, les bourses sont affectées aux étudiants sans aucune distinction de catégorie. Aucune évaluation n’est faite pour s’assurer que ce soutien est un besoin pour l’ensemble des étudiants ou que ce soutien a impact sur la performance des étudiants. Les étudiants nécessiteux et ceux dont les familles sont riches sont traités de la même manière. Pourtant, la recherche d’efficacité aurait du conduire les pouvoirs publics à réallouer les faibles ressources actuelles que sont les bourses en faveurs des plus nécessiteux et des plus performants, c’est à ces conditions que ce soutien aurait un impact.
Toutes les politiques publiques de notre pays doivent être revues pour s’assurer que l’Etat guinéen produit au coût le plus bas possible des biens et services réellement demandés par les populations. Les initiatives engagées en matière de transparence budgétaire au sein du Ministère du Budget contribuent à cela.
Aussi, les subventions doivent être ciblées afin de bénéficier aux plus pauvres parmi les guinéens. Ceux qui sont à même de payer leurs carburants, leurs électricités aux vrais prix doivent le faire, autrement c’est du gaspillage. C’est à l’Etat d’inventer la méthode, mais cela suppose que la société civile, les medias, les syndicats sont ouverts à un débat argumenté.
Sans une utilisation plus productive de nos ressources, la Guinée ne pourra se hisser au niveau de ses voisins.
[1] En réalité, la différence est couverte par l’Etat grâce aux subventions. Et cette subvention est accordée uniformément à tous les guinéens sans tenir compte des différences de revenus. Ceci est la fois inefficace et injuste.
[2] Cela explique en grande partie les dérapages budgétaires enregistrés en 2017.
Mamadou Barry
Economiste
Chercheur Associé au Centre Lillois d’études et
de Recherches Sociologiques et Économiques (CLERSE)- Université Lille1.
[1] En réalité, la différence est couverte par l’Etat grâce aux subventions. Et cette subvention est accordée uniformément à tous les guinéens sans tenir compte des différences de revenus. Ceci est la fois inefficace et injuste.
[2] Cela explique en grande partie les dérapages budgétaires enregistrés en 2017.
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