Pendant que les assises nationales vont au galop du « Kentucky Derby ou le tiercé de Longchamp», je souhaite que cette course de vitesse freine un peu dans notre quartier de Dixinn.  Là, le vieux Babara doit être réhabilité dans ses droits et recevoir les réparations qui permettront à sa famille de finalement voir la justice triompher dans notre pays après 50 ans.

Dans ce quartier où j’ai grandi, le vieux Babara fut un des présidents du Pouvoir Révolutionnaire Local (P.R.L).  Pour son malheur, il occupait cette fonction le 22 novembre 1970.  Dans notre quartier vivait aussi une dame qui avait une villa somptueuse.  Un des médecins de Sékou Touré y habitait.  La rumeur dans le voisinage était que cette demeure a servi de cachette pour le président pendant les jours qui suivirent l’invasion « Portugaise ».  Cette information qui circulait du carrefour de Pharma Guinée au carrefour de Camélia a été attribuée au vieux Babara.

Élégant et d’une moralité indéniable, il avait géré notre quartier de manière compétente.  Encourageant les jeunes à poursuivre leur éducation et fière de ceux d’entre nous qui avaient réussi le brevet pour continuer au Lycée du 2 août.

Il participait à toutes les actions de notre arrondissement (6ème) et mobilisait notre communauté pour les activités qui s’inscrivaient dans l’amélioration de nos conditions de vie (assainissement, coopérative des teinturières, équipe de football qui jouait au terrain du séminaire à la Belle Vue, mouvement pionnier, etc.).

Vint 1971 !  La Guinée ayant échappé de la torpeur qui engloutit le pays en fin 1970, les comptes devraient être maintenant soldés. Avec stupéfaction, notre président de comité fut accusé d’avoir servi comme guide à l’invasion « Portugaise ».  Maintenant, un mot ici, le vieux Babara n’avait aucun moyen (illettré de son état) de servir comme un phare maritime afin de donner des signaux de navigation à des vaisseaux arrivant du côté du port de pêche de Gbessia comme on l’en accusa.  Ce qui était actuellement faux.  Mais la « Voix de la révolution » radio qui était fidèle à « La Voix de son Maitre » annonça au « Peuple de Guinée » que le vieux Babara était un expert dans l’utilisation des phares maritimes.

A son corps dépendant, il fut accusé comme comploteur et conduit au « Camp Boiro », sans autre forme de procès.  Cette violence étatique est un des problèmes que nos assises nationales doit adresser.  Je n’ai aucun doute que des milliers de Guinéennes et Guinéens ont des témoignages similaires à travers le pays.

Si nous sommes au sérieux, nous devons approcher ces assises avec prudence, méthodiquement, en faisant appels aux parents des victimes, aux témoins oculaires des bavures successives de nos diffèrent régimes, et à l’expertise de nos historiens.

Je ne sais pas si la famille du vieux Babara a quelqu’un qui vit encore et qui pourrait défendre sa mémoire.  Pour ma part, je connais une partie de ce qui lui est arrivé.  Je témoigne qu’il a été emporté en porte-à- faux.   Si nous sommes sérieux (je répète) pour la vérité, le pardon et la réconciliation,  nous devons commencer par réhabiliter le vieux Babara qui a servi la Guinée avec honneur et dignité.   Ils sont des milliers de vieux Babara.

Toute démarche contraire à ce dénouement est une insulte à sa mémoire et une acceptation explicite de l’action de ses bourreaux.  J’espère que notre conscience collective nous permettra d’éviter une telle dérive.

Prêt à servir, pas pour se servir !

Docteur Abdoulaye Bah
Professeur d’Université aux États Unis, Ret.
Ancien chef de Chaire du Département des Sciences Sociales et Comportementales
Directeur, Centre pour la santé Comportementale et la Résilience
Université de Lincoln
Jefferson City, Missouri USA
Columbia, MO USA