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Retrait de l’Afrique de la CPI : n’est-ce pas légitime et nécessaire ?

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International Criminal Court[dropcap]E[/dropcap]n juillet 1998, le statut de Rome, fondateur de la Cour pénale internationale (CPI) a été signé à l’issue de la conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations unis. Mais c’est à partir du 1er juillet 2002, date d’entrée en vigueur du statut de Rome que cette juridiction internationale fut officiellement créée.

A ce jour 123 Etats ont ratifié le statut de Rome et reconnaissent donc officiellement la compétence de la CPI en matière de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et, à partir de 2017 de crimes d’agression. Tout accusé de tels incriminations pourrait donc légalement être traduit devant cette Cour à condition bien évidemment, qu’il soit ressortissant d’un Etat ayant ratifié le statut de Rome ou que son supposé crime a été commis dans l’un de ces Etats. Mais de façon très exceptionnelle, le Conseil de sécurité des Nations Unies peut déférer à la Cour une situation particulière en raison d’une menace à la sécurité internationale.

Toutefois, si le statut de Rome a dès son préambule fait part de la volonté des Etats partie à « mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et a concourir ainsi à la création des nouveaux crimes », le fonctionnement de la CPI laisse forte à croire que cette volonté de mettre un terme à l’impunité ne vise que les seuls ressortissants des Etats africains. Est-ce parce que criminel n’est qu’africain ou tout simplement parce que la CPI est une juridiction anti-africain ?

C’est en tout cas des questions qui méritent d’être posées avec l’image que véhicule cette institution internationale et que les dirigeants africains non pas manqué de dénoncer. Ainsi, avant d’adopter le 31 janvier dernier une proposition ouvrant la voie à un retrait des Etats africains de la CPI, l’Union africaine a décidé dès 2001 de ne pas exécuter les mandats d’arrêt de la CPI contre les dirigeants africains.

La question qui se pose serait donc de se demander si l’Afrique a-telle raison de vouloir se retirer de cette institution judiciaire, comme cela lui ait reconnu par le statut de Rome ? Autrement dit, est-ce le retrait de la CPI est-il bénéfique à l’Afrique et aux africains ? Pour Hamidou Anne du journal Monde Afrique, la réponse est tout à fait claire, le retrait de l’Afrique de la CPI serait tout simplement un permis de tuer. Mais est-ce vraiment le cas ?

Nous ne le croyons absolument pas, car le fonctionnement de la CPI de ses débuts à nos jours nous laisse forte à croire que, en plus d’être légitime, le retrait l’Afrique de la CPI est très nécessaire.

Le retrait légitime de l’Afrique de la CPI

L’image d’une juridiction raciste, néocolonialiste et anti-africain dont on accuse aujourd’hui la CPI n’est pas un pire fait du hasard ou un simple point marketing, comme le laisse entendre Hamidou Anne, mais malheureusement le constat d’une triste réalité.

En effet, depuis 2002 à ce jour, les huit cas ayant fait l’objet d’une procédure d’enquête par le bureau du procureur de la CPI concernent tous l’Afrique (l’Ouganda, RDC, la République de Centrafrique, le Darfour au Soudan, la République de Kenya, la Libye et récemment la Côte d’Ivoire et le Mali). De surcroît toutes ces enquêtes sont dirigées contre des africains alors même que les suspects potentiels des crimes commis en Afrique sont loin d’être que des africains. On pense notamment au cas de la Libye avec le lynchage de Kadhafi suite aux bombardements d’une coalition occidentale. Et la dernière décision en date qui a été rendue par la CPI en ce lundi 21 mars 2016 concerne aussi un africain (le congolais Jean-Pierre Bemba) condamné pour crime contre l’humanité.

Cette image d’un tribunal anti-africain de la CPI se trouve par ailleurs très confortée par le cas du Darfour, puisqu’il faut bien le rappeler, le Soudan dont le président Omar El-Béchir a fait l’objet d’un mandat d’arrêt international en 2005, n’a même pas signé le statut de Rome pour que la CPI puisse légalement engager des poursuites contre un citoyen de ce pays.

Ainsi, seul le paradoxe qui caractérise le fonctionnent de cette juridiction pouvait donc rendre de telles poursuites possibles. En effet, au lieu de se contenter d’assurer le bon fonctionnement de la CPI entre ses États membres et de respecter la volonté des États ayant refusé d’admettre la compétence de cette Cour, on se permet très curieusement de reconnaître à des États comme la Chine, les Etats-Unis et Russie (membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies) le privilège d’autoriser la poursuite d’autres États qui, comme eux, ont ouvertement refusé de se soumettre à cette juridiction. Alors même que, aucun de ces trois États détenteurs du droit de véto n’a souhaité adhérer à la CPI en raison notamment de leur opposition formelle à l’idée d’une juridiction pénale internationale qui s’impose à des États n’ayant pas reconnu sa compétence. N’est-ce pas là un paradoxe du fonctionnement de la CPI pouvant légitimer la volonté de tout État et pas seulement de l’Afrique, de se retirer et ne plus se soumettre à son autorité ?

D’autant qu’il faut le rappeler la CPI n’est qu’une juridiction supplétive de la justice nationale des États et ne devra donc se saisir d’un dossier que seulement si les juridictions nationales d’un État ne veulent ou ne peuvent pas se prononcer. Dès lors, le retrait de l’Afrique de la CPI n’a rien d’extraordinaire et constitue encore moins un permis de tuer. De surcroît, cet argument de permis de tuer ne tient tout simplement pas la route, car il laisse croire que la CPI a réussit à empêcher la perpétration des crimes en Afrique, alors qu’au moment où l’on parle de pauvres innocents sont assassinés un peu partout sur le continent et notamment au Burundi.

Cette idée de permis de tuer du fait de la sortie éventuelle de l’Afrique de la CPI voudrait tout simplement dire que pour pouvoir s’en sortir sur le plan judiciaire, l’Afrique doit demeurer sous tutelle d’une institution internationale comme la CPI, alors rien de cela ne semble se justifier. Qualifié donc comme permis de tuer le retrait légitime de l’Afrique de la CPI n’est-ce pas reconnaitre ce permis de tuer à l’ensemble des États n’ayant pas ratifié le statut de Rome et de faussement considérer, que les crimes seraient plus élevés dans ces pays parce que non membres de la CPI.

Et d’ailleurs pourquoi à l’image d’autres pays comme les États-Unis, l’Afrique ne pourrait pas en se retirant de la CPI décider dorénavant être seule habilitée à juger ses ressortissants. N’est-ce pas juste et légitime ? D’autant que ce n’est pas les moyens qui manquent à ce continent, puisque Mario Pezzini, Directeur, Centre de développement de l’OCDE nous rappelle que « l’Afrique est le plus jeune continent du monde, avec 200 millions de 15-24 ans, qui deviendront 400 millions en 2045. Et que le produit intérieur brut par tête des pays africains croit au moins deux plus vite que les pays de l’OCDE ».

Il ne faudrait-il aussi se demander comme la CPI se focalise uniquement sur l’Afrique, pourquoi alors les crimes commis par les occidentaux sur ce continent (nous pensons notamment au cas de la Libye ou les crimes de la force licorne française en côte d’ivoire) n’ont jamais fait l’objet d’une enquête de la CPI. Est-ce une disposition secrète du statut de Rome qui le prévoit ou tout simplement la confirmation du caractère raciste, anti-africain et néocolonialiste de la CPI.

C’est d’ailleurs à cause de ces vives critiques que la CPI a, afin de retrouver sa légitimité contestée, promis de juger des crimes commis sur d’autres continents. Promesse qui s’est soldée par l’ouverture des examens préliminaires dans une dizaine de pays dont l’Irak, la Palestine, la Colombie, l’Afghanistan, etc. Examens qui ont permis à la Cour d’ouvrir en janvier dernier sa première enquête en dehors du continent africain pour juger les crimes commis en Ossétie du sud en 2008, lors de la guerre qui a opposé la Russie et la Géorgie.

Dès lors, comme cela lui ait reconnu par le statut de Rome, fondateur de la CPI, le retrait annoncé de l’Afrique de cette institution hypocrite est en plus d’être juste et légitime, très nécessaire à la fois pour l’Afrique et la justice.

La nécessite du retrait de l’Afrique de la CPI

Outre la légitimité, le retrait de l’Afrique de la CPI parait tout à fait nécessaire dans la mesure où cela permettra non seulement à ce continent de retrouver son honneur et sa dignité, mais aussi et surtout cela incitera très fortement à l’Organisation des Nations unies à mieux réfléchir dans l’avenir lorsqu’il s’agit de mettre en place une institution internationale comme la CPI.

L’idée serait montrer qu’il ne suffit pas de se contenter d’accumuler des institutions internationale sans avoir le moindre souci sur leur bon fonctionnement, car comme nous le disait le poète, journaliste et moraliste français Sébastien Roch Nicolas de Chamfort, « il est plus facile de légaliser certaines choses que de les légitimer ». Il faudrait donc plutôt chercher à mettre en place des institutions crédibles et légitimes capables de fonctionner de façon juste et pérenne. Ainsi, si les critiques acharnées des africains ont poussé la CPI à ouvrir sa première enquête en dehors du continent africain, leur retrait ne serait-ce que temporaire aboutirait certainement à la révision du statut de Rome, fondateur de cette juridiction.

Cela démontre que contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, le retrait de l’Afrique de la CPI est davantage bénéfique que néfaste. Bénéfique à la fois pour l’Afrique et la justice. Pour l’Afrique, le retrait de la CPI lui permettra de retrouver une indépendance judiciaire au vrai sens du terme. Ce qui permettra comme l’a souhaité la présidente sud-africaine de la Commission de l’Union Africaine (Nkosaza Dlamini-Zuma) à « l’Afrique de renforcer la capacité de ses systèmes judiciaires, nationaux et continentaux […] ». L’Afrique ne sortira donc que gagnante de son retrait de la CPI, puisqu’elle sera mieux organiser (sans discrimination ni néocolonialisme) pour bâtir des institutions judiciaires africaines pour les africains. Ce retrait de cette Cour partiale et anti-africain est tout simplement une nouvelle ère pour l’Afrique. D’ailleurs les critiques dont fait objet la CPI ne viennent pas seulement que des africains.

En effet, on peut lire dans un article publié par African Busness Magazine sous son titre original en anglais : « ICC, A Tool To Reconolize Africa » que :

« Il est à noter qu’aucun tribunal ad hoc n’a été créé pour enquêter sur les crimes de guerre commis par l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ou des nations que ces États puissants auraient souhaité protéger. […] Même Alan Dershowitz, l’avocat conservateur américain, juriste, et commentateur politique, a déclaré que les forces armées des États-Unis et du Royaume-Uni ont « causé la mort de milliers de civils en Irak et en Afghanistan “. Il préface cette reconnaissance des faits avec « par inadvertance », mais Ocampo a ignoré tous ces décès.

La CPI a également tourné un œil aveugle à une série de crimes qui semblent relever de son mandat légal commis par des sociétés de sécurité occidentales en Irak. […]  En 2008, l’ONU a indiqué que les forces américaines, de l’OTAN et Afghanes étaient responsables de plus de 828 civils tués en Afghanistan. La plupart d’entre eux étaient le résultat des frappes aériennes américaines et de l’OTAN. En effet, la mort de plus de 90 civils afghans, et le dommage causé à des dizaines d’autres, dans une frappe aérienne militaire (l’une des nombreuses frappes aériennes ayant entraîné la mort des civils) sont ignorés par la CPI […] Il ne fait aucun doute que la CPI s’est délibérément focalisée sur l’Afrique. C’est tout simplement parce que les États et les ONG d’Europe occidentale au cœur de la CPI voient le continent comme une « champ de tir libre » dans lequel  on peut expérimenter  un modèle juridique européen discutable, établi par une loi imparfaite […] ».

De ce passage, on constate tout simplement bien qu’il puisse avoir plusieurs criminels potentiels, seuls certains d’entre eux (les africains, plus pauvres certes, mais pas plus criminels en tout au regard de ce qui vient d’être rappelé) sont susceptibles d’être poursuivis. N’est-ce pas une meilleure façon de rendre justice et de lutter contre l’impunité ? Le mieux ne serait-il pas de rebaptiser alors la CPI en CPRAA (Cour pénale régionale anti-african). Ce serait simplement trop dire en essayant de rajouter sur ce qui vient d’être rappelé pour démonter la légitimité et la nécessité du retrait de l’Afrique de la CPI.

Et comme nous l’avons souligné, ce retrait de la CPI est non seulement nécessaire pour l’Afrique, mais aussi et surtout pour la justice. En effet, en critiquant ouvertement la CPI, le ministre éthiopien des affaires étrangères Tedros Adhanom Ghebreyesus, dont le pays occupait la présidence de l’Union Africaine en 2013, disait que : « Loin de promouvoir la justice et la réconciliation […], la CPI s’est transformée en instrument politique visant l’Afrique et les Africains, ce traitement inique et injuste est totalement inacceptable ».

Puis dans son article du 11 avril 2013, Kamel Moulfi estime à son tour que : « Le droit international est une énorme tromperie. Dépourvus de la moindre impartialité et entièrement au service des pays occidentaux, les jugements prononcés en son nom sont la négation de la justice. Human Rights Watch (HRW) vient de se rendre compte que cette Cour agit sur la base du principe de deux poids, deux mesures. Du moins, dans le cas de la Côte d’Ivoire, […] où l’injustice est flagrante. « Sur plus de 150 personnes qui ont été inculpées pour des crimes perpétrés lors des violences postélectorales, aucun des inculpés ne provient des forces pro-Ouattara », constate HRW. L’impunité pour l’un, la condamnation pour l’autre en fonction de ce qui se décide dans les cercles occidentaux.

C’est ce que suggère HRW qui n’ira pas, toutefois, jusqu’à admettre que beaucoup de dirigeants aux États-Unis, les premiers à violer les principes du droit international, méritent de passer devant la CPI. Les motifs ne manquent pas. Exemple : le vendredi 5 avril, la Haut Commissaire aux droits de l’Homme des Nations unies, Mme Navi Pillay, parlant de Guantanamo, a déclaré que le maintien en détention indéfinie d’un aussi grand nombre de détenus équivaut à de la « détention arbitraire » et « viole les lois internationales ». Sans plus » (5).

De ce qui précède on constate que, le retrait de l’Afrique de la CPI n’est que justice et bon sens et donc, nécessaire et légitime. Nécessaire et légitime non seulement pour l’Afrique et la justice, mais aussi et surtout pour la paix au monde. Car une chose est claire, il ne peut y avoir de paix sans justice. Au lieu donc de s’alarmer face à ce retrait annoncé de l’Afrique de la CPI, il faudra plutôt essayer de l’encourager, le faciliter et même le précipiter. Pour ce faire, la balle est dans le camp de l’ONU si jamais elle veut assumer son rôle du garant de la paix et de la sécurité dans le monde et ne pas disparaître comme la Société des Nations a disparue il y a quelques décennies.

Il revient donc à l’Afrique de prendre ses responsabilités et s’unir pour bâtir ensemble de vrais systèmes judiciaires nationaux et régionaux (justes et non partisans) afin de retrouver sa dignité et son indépendance judiciaire. On aurait donc compris qu’il y a plus de gagnants que de perdants de ce retrait de l’Afrique de la CPI, reste à savoir qui en sont les perdants et si ce retrait est actuellement opportun.

Boubacar BALDE,

Doctorant en cotutelle internationale des Universités de Laval et de Toulouse 1 Capitole.

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