La 41ᵉ commémoration du décès de Sékou Touré survient dans un contexte de débats très passionnés, initiés par les critiques de Tierno Monénembo, auxquelles répondent des défenseurs de l’ancien président, tels que Makanéra Kaké, dont les motivations semblent plutôt politiques.
Une fois n’est pas coutume, les prises de parole de Tierno Monénembo au sujet de Sékou Touré sont invariablement radicales et hostiles. Depuis des décennies, l’écrivain de 77 ans s’acharne à diaboliser le président Sékou Touré, réduisant son héritage à une simple « dictature sanglante » : une obsession qui fausse son objectivité intellectuelle.
De l’autre côté, nous avons notre Makanéra national qui, à l’inverse, instrumentalise Sékou Touré à des fins politiques. Dans sa dernière intervention, il s’est livré à des raccourcis historiques simplistes, non pas pour défendre la mémoire du président, mais pour discréditer un écrivain qui critique sévèrement la conduite de la transition.
Pour ma part, j’ai une profonde admiration et un grand respect pour le président Sékou Touré, pour son combat noble et décisif contre la colonisation, pour l’indépendance de la Guinée et de l’Afrique, ainsi que pour son leadership au sein de l’OUA (actuelle UA), dont il est l’un des pères fondateurs.
Je ne comprends donc pas cette démarche de diabolisation et de criminalisation de l’homme et de son image.
En réalité, Monénembo cherche à disqualifier Sékou Touré de l’histoire de notre pays, ou à l’effacer au moins du bon côté. C’est absurde ! Sékou Touré fait partie de notre histoire et de notre grandeur, au même titre que Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Dîna Salifou Camara et tant d’autres figures qui glorifient notre épopée nationale.
Sékou Touré a-t-il commis des fautes ? Bien évidemment, comme les autres cités, mais si ses fautes suffisaient à le disqualifier de l’histoire nationale et mondiale, alors nos figures historiques devraient aussi être disqualifiées :
- Dîna Salifou Camara, pour avoir directement et activement collaboré avec les esclavagistes blancs dans le commerce triangulaire en capturant et en vendant des Noirs aux esclavagistes.
- Alpha Yaya Diallo, pour avoir massivement eu recours à l’esclavage comme moyen de conquête.
- Samory Touré, héros de la résistance anti-coloniale, pour avoir pratiqué l’esclavage afin de renforcer son armée.
Sur le plan mondial :
- Mahatma Gandhi, entré dans l’histoire pour avoir prôné la résistance non violente et la désobéissance civile, devrait également être disqualifié pour son soutien paradoxal au racisme et à la ségrégation des Noirs sud-africains, qu’il considérait comme inférieurs aux Indiens (Blanc > Indien, Indien > Noir).
- Nelson Mandela, pour avoir finalement trahi la cause des Noirs au profit des fermiers blancs, qui seraient aujourd’hui propriétaires de plus de 72% des terres rurales privées, alors que les Blancs ne représentent que 7,8% de la population.
Or, toutes ces personnalités de l’histoire sont évoquées aujourd’hui avec une grande fierté ! Pourquoi pas Sékou Touré alors ?
Je veux dire que l’Histoire doit toujours s’analyser avec le contexte. Aussi illustre et emblématique soit-il, Sékou Touré était un être humain, influencé par son époque et des circonstances. C’était un révolutionnaire et un souverainiste dans l’âme, un homme avec un ego surdimensionné et une fierté hors norme, mais engagé dans un combat sans merci contre un adversaire infiniment plus puissant et déterminé à le mettre à genoux. Il ne pouvait compter que sur l’unité de son peuple pour mener à bien son combat pour son jeune État-nation.
C’est pourquo,i je dis au doyen Tierno Monénembo et à tous ceux qui éprouvent une haine contre Sékou Touré, au point de le considérer comme « le mal absolu », d’avoir un peu de recul et de mettre de côté leurs passions. Cela leur permettrait d’avoir une meilleure compréhension de l’histoire et une démarche plus lucide et bénéfique pour la Guinée. Nous ne pouvons pas défaire ce qui a été fait, et nous ne devons pas nous défaire à cause du passé. Même si je suis conscient qu’on ne peut rien espérer du doyen à 77 ans.
Comme tout événement historique, l’histoire de Sékou Touré doit être analysée en tenant compte des circonstances de l’époque :
- La fondation d’un État-nation postcolonial et la construction de l’unité nationale comme un élément consolidant.
- Le « NON » au général De Gaulle et les représailles qui s’en sont suivies contre le pouvoir de Sékou Touré : tentatives d’élimination physique, déstabilisation économique et monétaire.
- La tentative de changement de régime par la force, organisée par des Portugais en collaboration avec de nombreux Guinéens, les 21 et 22 novembre 1970.
Tous ces événements sont aujourd’hui très bien documentés par des acteurs directs du côté français et européen (mémoires de personnalités clés, documents d’archives français et résolutions des Nations unies).
La haine et la passion faussent notre raisonnement intellectuel et notre perception de l’histoire.
Mon propre père, par exemple à l’époque, était vendeur et exploitant artisanal de diamants. Or, Sékou Touré interdisait cette activité afin de mieux appliquer sa politique agricole visant à assurer l’autosuffisance alimentaire. Mon père est donc demeuré très critique envers lui. Mais moi, j’ai un regard différent, parce que je vis à une époque différente, mais aussi je suis mieux outillé pour comprendre les contours de cette politique.
Makanéra et la simplification opportuniste de l’histoire
Concernant la sortie de notre Makanéra national, même si plus rien ne m’étonne venant de lui, je tiens tout de même à lui rappeler que l’histoire de Sékou Touré est bien plus complexe que ses simplifications maladroites. Il ne devrait pas instrumentaliser la figure de Sékou pour discréditer l’écrivain dans ses critiques envers la transition. Il est évident que lui et ses alliés semblent bien plus affectés par les critiques sur la transition que par les atteintes à l’honneur et à la mémoire de Sékou Touré.
Lorsque l’écrivain affirme que “jamais depuis Sékou Touré la Guinée n’a connu une telle vague de répression”, avant d’ajouter que “Alpha Condé réprimait les manifestations de rue et persécutait ses opposants, mais il n’a pas fermé les médias, n’a pas interdit le Front national pour la défense de la Constitution et il n’y avait pas non plus ces mystérieuses disparitions de personnalités que l’on observe aujourd’hui”, ces déclarations touchent sérieusement le tribun national et ses nouveaux alliés, bien plus que les atteintes à l’honneur et à la mémoire de Sékou Touré.
Repose-toi en paix, Mandjou
Sidiki Camara
Master en Droit des affaires et Politiques publiques du développement