La Guinée se retrouve encore à un moment décisif. Récemment, le général Mamadi Doumbouya a reçu les documents du programme de développement socio-économique durable et responsable Simandou 2040. Ce geste dépasse largement la simple formalité : il symbolise une ambition nationale, un espoir de renaissance autour du plus grand gisement de fer inexploité au monde.
Mais derrière les annonces et les chiffres impressionnants, une question persiste : que valent vraiment ces 15 % que l’État détient dans un projet aussi gigantesque ?
Fierté nationale ou dépendance ?
Simandou attire aujourd’hui des investisseurs venus du monde entier : grandes compagnies minières, banques, partenaires étatiques. On parle ici d’un investissement énorme, estimé entre 15 et 18 milliards de dollars. À pleine capacité, le gisement pourrait livrer près de 60 millions de tonnes de fer chaque année. Un chiffre qui place la Guinée parmi les grands acteurs potentiels du marché mondial du fer. C’est énorme, surtout pour un pays qui cherche encore à diversifier son économie.
Sur le papier, tout semble parfait : un chemin de fer, un port en eau profonde, des emplois pour des milliers de personnes, recettes fiscales qui pourraient transformer la vie de millions de Guinéens. Mais la réalité est plus complexe.
Avec seulement 15 % de participation, l’État n’a pas vraiment le contrôle. Il est impliqué, certes, mais il n’est pas maître du jeu. Dans un environnement où les rapports de force économiques sont souvent défavorables aux pays en développement, la question de savoir qui profite réellement de cette richesse reste entière. Le risque, déjà observé ailleurs en Afrique, est celui d’un développement « hors-sol » : des chiffres de croissance sans réelle amélioration des conditions de vie.
La politique comme champ d’équilibre
Sur le plan politique, le programme Simandou 2040 sert de vitrine à la transition en cours. En capitalisant sur ce dossier, le pouvoir cherche à incarner une Guinée souveraine, maîtresse de son destin. Mais ce pari comporte une double tranchant. Si les retombées tardent ou si la gestion manque de transparence, le prestige d’aujourd’hui peut devenir le boulet de demain. Les populations de la région de Beyla et N’Zérékoré, directement concernées, attendent des bénéfices concrets : routes, hôpitaux, emplois. L’impatience populaire pourrait vite se muer en méfiance si les promesses restent au niveau des grands discours.
L’enjeu est donc de transformer un projet minier en projet de société, où chaque Guinéen sentirait que la richesse du sous-sol se traduit par une amélioration tangible de son quotidien. Sans cela, Simandou risque d’alimenter les fractures territoriales et sociales au lieu de les réduire.
Entre opportunité et vigilance
Personne ne doute de l’importance stratégique de Simandou. Ce projet peut redéfinir la place de la Guinée sur l’échiquier économique mondial et offrir, enfin, une véritable chance de développement durable à son peuple.
Mais le vrai défi ne se jouera pas sur les tonnes de fer extraites, ni sur les milliards investis. Il se jouera sur la manière dont cette richesse sera gérée, partagée et surveillée.
Ce sont la transparence des contrats, la responsabilité des institutions et la protection des communautés locales qui diront si Simandou devient une réussite nationale ou une occasion manquée.
Si les revenus servent réellement à renforcer l’éducation, la santé et l’agriculture, alors ces 15 % que détient l’État prendront tout leur sens. Ils deviendront un symbole de souveraineté, pas une simple participation. À l’inverse, si la rente minière se perd dans l’opacité, l’histoire pourrait se répéter : celle d’un pays riche en ressources, mais pauvre en retombées.
Simandou 2040 est donc à la fois un test politique et un miroir moral. Il dira si la Guinée a su tirer les leçons du passé pour faire de sa richesse naturelle une richesse humaine. La pierre de fer ne vaut rien sans le ciment de la justice, de la transparence et du partage.
Par Abdourahamane CONDE
Politologue

