Dans sa quête pour transformer l’exploitation du gisement de Simandou en un levier de croissance durable, le gouvernement guinéen s’est entouré de cabinets de conseil internationaux, à l’image de KPMG, pour structurer le Programme Simandou 2040.
L’approche adoptée repose sur un modèle de planification stratégique en plusieurs phases, incluant :
- Une analyse de due diligence sectorielle pour identifier les moteurs de croissance.
- La construction d’un plan stratégique détaillé, basé sur des benchmarks internationaux.
- L’implémentation progressive de réformes et d’investissements structurants.
Cette ingénierie du développement, largement inspirée des modèles de transformation économique appliqués en Asie du Sud-Est, vise à faire de la Guinée un pôle industriel et logistique minier. Mais derrière cette ambition affichée, le modèle de planification adopté révèle plusieurs limites et risques, tant sur le plan économique que politique.
Un modèle de planification technique, mais déconnecté des réalités locales ?
Les grandes firmes de conseil, comme celles impliquées dans le Programme Simandou 2040, adoptent une approche normative du développement économique. Ce modèle repose sur une vision top-down, où les experts établissent une feuille de route en s’appuyant sur des benchmarks internationaux et des modèles théoriques de croissance.
La structuration du Programme Simandou 2040 suit un processus en plusieurs étapes, qui inclut :
- Une phase de diagnostic et d’identification des secteurs prioritaires – réalisée via une analyse comparative avec des pays dits « aspirationnels » (Norvège, Malaisie, Maroc, Botswana, Sénégal).
- L’élaboration d’un plan de développement structuré en réformes et projets phares – basé sur une segmentation sectorielle et une modélisation économique.
- Un plan d’implémentation appuyé par une gouvernance centralisée – où des unités de pilotage (Delivery Units) assurent la mise en œuvre des recommandations.
Si ce modèle a démontré son efficacité dans des pays comme Singapour ou le Rwanda, il repose sur plusieurs hypothèses contestables dans le cas guinéen :
- Une transposition trop simpliste des modèles asiatiques et nordiques
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- Comparer la Guinée à la Norvège ou à la Malaisie ignore les différences institutionnelles et politiques.
- Ces pays ont des structures de gouvernance fortes, alors que la Guinée est marquée par une instabilité chronique et un cadre institutionnel fragile.
- Une vision macroéconomique qui masque les blocages structurels locaux
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- L’approche des cabinets de conseil se focalise sur les grandes infrastructures et les indicateurs macroéconomiques, mais accorde peu d’attention aux blocages sociopolitiques (exclusion des communautés locales, faible gouvernance des revenus miniers, etc.).
- L’idée que le développement des infrastructures (chemin de fer, port minéralier) entraînera automatiquement un effet de ruissellement sur le reste de l’économie est contestable, comme l’a montré l’exemple du Mozambique avec ses projets de gaz naturel.
- Un plan de financement qui repose trop sur des capitaux étrangers
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- La mise en place d’une notation de crédit pour accéder aux marchés financiers internationaux est une stratégie classique, mais elle expose la Guinée à des risques d’endettement incontrôlé.
- Les projections financières sous-estiment les incertitudes liées aux fluctuations du prix du fer, élément clé de la rentabilité du projet.
Le risque d’une « planification extractiviste » à la merci des marchés mondiaux
Le Programme Simandou 2040 s’inscrit dans une logique extractiviste modernisée, où l’exploitation des ressources naturelles est censée financer le développement économique. Mais cette approche repose sur une forte dépendance aux cycles des matières premières, avec des précédents inquiétants :
- L’Angola et la Zambie ont connu des crises économiques majeures après avoir basé leurs stratégies de croissance sur l’exportation de pétrole et de cuivre.
- Le Mozambique, avec son projet gazier, a également sous-estimé les risques de marché et d’endettement, ce qui a mené à un scandale financier majeur en 2016.
Dans le cas guinéen, les consultants ont basé leurs modélisations économiques sur des scénarios optimistes, où :
✔️ Le prix du fer reste élevé et continue d’alimenter une forte demande mondiale.
✔️ Les infrastructures génèrent un effet multiplicateur sur le reste de l’économie.
✔️ Le gouvernement parvient à gérer efficacement les revenus miniers, sans corruption ni détournements.
Ces hypothèses sont optimistes, voire irréalistes dans un contexte où :
- Le prix du fer fluctue fortement, exposant le pays à des crises budgétaires en cas de baisse des prix.
- Les revenus miniers sont souvent mal redistribués, avec une gouvernance faible et une absence de politiques inclusives.
- Les infrastructures minières ne bénéficient pas nécessairement aux autres secteurs économiques.
Si Simandou 2040 devait réellement transformer l’économie guinéenne, il faudrait dépasser la simple logique d’extraction et d’exportation, et investir massivement dans la transformation locale des ressources.
Le défi politique : Gouvernance, tensions sociales et souveraineté nationale
a. Un projet vulnérable aux jeux de pouvoir internes
L’un des principaux risques du Programme Simandou 2040 est sa vulnérabilité aux dynamiques politiques internes. Le projet dépend d’une stabilité politique que la Guinée n’a jamais vraiment connue.
Le pays a été marqué par des coups d’État successifs, le plus récent en 2021. La mise en œuvre d’un programme aussi ambitieux nécessite une continuité politique, ce qui est loin d’être garanti.
De plus, les tensions sociales autour de l’exploitation minière sont un facteur de déstabilisation. Les communautés locales, souvent exclues des bénéfices de l’exploitation, pourraient devenir un foyer de contestation, comme on l’a vu dans d’autres projets miniers en Afrique.
b. Un projet dominé par des intérêts étrangers
Le modèle de planification utilisé par les cabinets de conseil intègre une logique d’attractivité pour les investisseurs internationaux, mais omet de poser la question de la souveraineté économique.
Aujourd’hui, la Guinée n’a qu’une participation minoritaire dans ses propres ressources minières :
- China Baowu Steel Group et Rio Tinto contrôlent la majeure partie du projet.
- L’État guinéen ne détient que 15 % des participations dans les entreprises exploitantes.
Ce déséquilibre signifie que la majeure partie des bénéfices sera rapatriée à l’étranger, limitant l’impact réel sur l’économie nationale.
Amadou Tidiane Barry
Spécialiste en évaluation de politique publique
Email : barrytidiane2012@gmail.com
Une analyse plus ou moins profonde a été faite par mon cher ami. Fier de toi. Mais de l’autre côté, il manque ta contribution dans les solutions inoventes pouvant permettre à l’Etat de faire profiter les retombées significatives aux populations de Guinée, dehors de la transformation sur place de ce minerais en produit semi fini. Encore une fois félicitation.
Très belle analyse, vous devez prendre contact avec les autorités pour apporter votre contribution