Depuis ce dernier vendredi, un certain Souleymane a décidé subitement de poser son Koly. Il s’en est allé sans demander ni son reste ni notre avis. Pas sympa, pas du tout sympa le vié pè de nous lâcher avec autant de mépris. Pas gentil, pas du tout gentil de nous sevrer de tes conseils bénits. A présent, tu seras le seul responsable de nos oeuvres artistiques impolis.
A peine de retour au bercail pour nous confier à tes muses que tu t’es tiré, pardi! Parti vers des horizons plus paisibles, tournant le dos à nos branlants taudis. Homo tu m’appelais, papy. Pas parce que t’avais vu en moi un quelconque pédé dandy. Juste parce que nous partagions ce prénom d’un bien nommé mouloukou Solomani. Par les sept terres et les sept cieux divinement pétris, je hais le glaive qui t’a pris en raccourci. Tous ces projets qu’ici t’avais entrepris restent désormais suspendus sur le fil inaudible de nos cris. Nous n’aurons pas suffisamment de larmes pour laver nos chagrins ressentis. C’est au tréfonds de nos souvenirs que tu resteras à jamais enfoui. Là-bas, dans le sanctuaire inaccessible de notre mémoire décrépie tu demeures et tu nous instruit. Sans autorisation explicite ou tacite, t’as déguerpi. Pas la peine de t’imaginer que de sitôt on te confinera dans un réduit. Nous savons que ton départ précipité n’est absolument pas gratuit. C’est pour mieux t’élever et mieux rayonner sur notre univers noir de son malsain enduit.
Souviens vié pè, je me souviens de notre première rencontre à la suite de la représentation du “Big Shoot” d’un certain Koffi Kwahulé. C’était dans une salle de spectacle du MASA il y a quelques années. Tu t’es amené avec ta petite barbiche grisonnante pour dire à tes petits frères voire tes enfants de Guinée toute ta fierté. J’en avais des larmes aux yeux en serrant la main d’un monument altier et entier. Le petit metteur en scène que j’étais était tout tremblotant devant le roi des planches. Il y a des félicitations et des poignées de main qui marquent et s’installent dans l’éternité. Ce n’est ni Moussa Doumbouya, ni Sekou Yalany Keita, les deux comédiens qui t’avaient subjugué qui diront une parole déplacée. J’étais si fier, si impressionné que tous mes poils s’étaient dressés. Il y a Souleymane et Souleymane je m’étais surpris à répéter. A ce moment précis, je m’étais murmuré que je me foutais désormais des autres critiques retardées. Tes encouragements appuyés de ton sourire franc et décontracté valait notre participation à cette édition que pour nous t’avait illuminée.
Souviens-toi, moi je me souviens vié pè, quand t’as déboulé dans ma salle de répétition pour m’éclairer. Je t’avais invité à zieuter mon adaptation et ma création de “L’enfant noir” plébiscité. Bien calé dans les fauteuils rouges de CCFG, tes yeux lumineux scrutaient mes délires pour mieux les débarrasser des fantaisies non maîtrisées. J’entends encore l’échos sincère de tes positions pour me questionner afin de mieux m’orienter. T’as pris ton temps pour foutre des doutes et des questionnements dans ma petite caboche torturée. Parce que t’étais convaincu que les certitudes sont ennemies de la créativité. Pour chacun de mes comédiens, t’as eu un verbe qui a interpellé, une phrase qui a fait avancer et un qualificatif qui a encouragé. Ce n’est ni Moise, ni Zénab, ni Konko Malela ni Mama Mamafou Cissoko, le quator de cet Enfant Noir culotté qui iront dans un chemin opposé. Parce que quelques semaines plus tard, leur spectacle faisait un triomphe dans une salle du CCFG pleine à craquer.
Souviens-toi encore, oh que oui moi je me souviens et je sais que toi aussi tu ne peux pas ne pas te souvenir de notre échange téléphonique quand le spectacle “Tu m’aimeras” était annoncé. J’avais demandé ton appui et ta bénédiction pour que tes danseurs Innocent et Marius viennent partager avec mes comédiens les connaissances qu’avec toi ils ont glanées. De ton habituelle voix sonore, éclatante et dévouée, tu nous as apposé la lumière du sage patenté. Je te t’entends encore me dire que tu les avais fait venir de Côte d’Ivoire pour qu’ils construisent de nouveaux ponts de création et d’amitié. Nul doute que la participation des “bofotos” comme les comédiens Habibatou Bah, Petit Tonton et Djanii Alfa les avaient affectueusement surnommés, nul doute donc que leur expérience a permis à ce spectacle de transpirer d’encore plus de générosité. Et à la première représentation, je sais que t’as coulé ta petite larme de bonheur et de fierté, puisque l’oeuvre qui était représentée avait quelque chose de ton humanité. C’est d’ailleurs cette part de disponibilité que l’ange de la mort a voulu museler. Bien tenté pourrait-on lui rétorquer. Mais homo, on te laissera pas ainsi t’en aller.
Souleymane, t’as fait que poser ton Koly pour te reposer et mieux te transformer. Les héritiers du Koteba, de ton théâtre africaniste transgressif et forcené vivront dans les oeuvres de chacun des créateurs que t’as croisés et inspirés. Les encouragements et les lumières que t’as allumées en chacun de nous continuera, nous te promettons, de brûler et de briller. Nous reprenons ton Koly,vié pè pour t’aider à le porter, le fructifier, le multiplier, le protéger. Nous savons que l’héritage ne sera pas facile à garder, mais nous nous relayerons pour jouer les sentinelles dignes de ta générosité, en étant les gardiens zélés de ton humilité. Néanmoins, conscient que je n’aurais jamais suffisamment de mots pour dire la douleur et la tristesse de tous ceux que t’as formé, accompagné et égayé, je te prie de me laisser à présent fermer ma gueule et je dégage !
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