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Suspension de France 24 au Burkina : « Il n’y a pas fondamentalement de raisons pleinement motivantes », Régis Hounkpè

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Le gouvernement burkinabè a suspendu lundi, la diffusion des programmes de France 24 sur l’ensemble de son territoire. La diffusion par le média français, d’un entretien indirect avec le chef d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) a fâché les autorités de la transition.

L’analyste géopolitique et spécialiste en communication politique, Régis Hounkpè, depuis Paris, voit dans cette suspension « un signal qui interpelle quant à la liberté de la presse et de l’opinion ». Il souligne que les terroristes disposent de leurs propres moyens de communication. Par conséquent, il vaut mieux « s’attaquer aux causes et aux conséquences du terrorisme qu’au média diffuseur qui dispose de sa liberté éditoriale ». Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON

Bénin Intelligent : La raison évoquée est-elle suffisante pour suspendre la chaîne France 24, selon vous ?

Régis Hounkpè : Il faut en effet rappeler le contexte de cette décision des autorités de la transition burkinabé qui ont un besoin factuel d’affirmer leur autorité en démontrant qu’elles peuvent admettre ou démettre dans leur espace politico-médiatique tout point de vue qui ne corresponde pas à leur agenda. De ce point de vue, suspendre un média, peu importe sa ligne éditoriale, est un signal qui interpelle quant à la liberté de la presse et de l’opinion.

Personnellement, j’ai eu l’occasion dans un autre contexte de sanctions contre la Russie dans le cadre de son invasion en Ukraine, de relever, auprès d’un de vos confrères internationaux, l’inefficacité des mesures prises en Europe contre Russia Today France et Sputnik qui ont été suspendus. Il n’y a pas fondamentalement de raisons pleinement motivantes qui nécessitent qu’un média soit suspendu sinon dans ce cas, même votre journal qui me propose cet entretien peut tomber alors que vous ne faites qu’éclairer l’opinion publique et internationale.

Evidemment, la question de la ligne éditoriale se pose et c’est justement là-dessus que les autorités burkinabè s’appuient opportunément pour cette suspension.

Croyez-vous que la diffusion sur France 24 de cet entretien indirect avec le chef d’Aqmi, encourage-t-elle vraiment des actes terroristes sur le sol du Burkina Faso, comme l’estiment les autorités burkinabè ? Ou quel peut en être l’impact sur la lutte contre le terrorisme dans ce pays ?

France 24 parle « d’accusations sans fondement » et se défend de ne pas avoir donné directement la parole au chef d’Al-Qaida au Maghreb islamique. La chaîne réfute d’avoir servi de tribune politique et médiatique à l’un des groupes les plus dangereux qui sèment la mort et la désolation dans le Sahel et dans nos pays.

«Ils ont une capacité de destruction aux conséquences incalculables en s’appuyant sur la désespérance sociale, la pauvreté, la distribution inégale des fruits de la croissance économique, la corruption des élites, la démission de nos Etats, le manque de moyens et de ressources de nos armées, l’absence de vision stratégique dans un monde tourmenté. Si ce n’est pas France 24, ce sera par un autre moyen.»

Nous avons deux conceptions qui s’opposent sur le format même de la diffusion de l’élément télévisuel incriminé. D’emblée, il n’y a pas eu d’interview direct avec Abou Obeida Youssef, le chef d’Aqmi mais plutôt un décryptage d’un entretien écrit qu’il a accordé au journaliste Wassim Nasr qui est l’un de mes meilleurs spécialistes des dynamiques sécuritaires et des mouvances terroristes. Cet entretien indirect peut-il servir de propagande et d’appel d’air pour embrigader des jeunes dans les voies obscures du terrorisme ? J’ai une autre lecture plus politique, davantage géopolitique et surtout socio-économique dans certains contextes dans le Sahel et dans le Golfe de Guinée.

Êtes-vous d’avis qu’il y a une « une largesse éditoriale » de la part de ce média ?

Je ne vous cache pas personnellement mon scepticisme et mes interrogations sur l’opportunité d’un tel entretien, même si c’est indirect. Mais aujourd’hui, ces groupes terroristes disposent de leurs propres canaux de diffusion. Ils sont sur le dark web, sur les réseaux sociaux classiques, émettent leurs messages dissidents et mortifères dans leurs propres agences de presse.

Ils ont une capacité de destruction aux conséquences incalculables en s’appuyant sur la désespérance sociale, la pauvreté, la distribution inégale des fruits de la croissance économique, la corruption des élites, la démission de nos Etats, le manque de moyens et de ressources de nos armées, l’absence de vision stratégique dans un monde tourmenté. Si ce n’est pas France 24, ce sera par un autre moyen. Il faut plutôt s’attaquer aux causes et aux conséquences du terrorisme qu’au média diffuseur qui dispose de sa liberté éditoriale.

Le communiqué du gouvernement burkinabè soulève une problématique sérieuse : Dans un contexte de montée en puissance du terrorisme, la presse peut-elle/ ou doit-elle donner la parole à des terroristes au nom de la liberté de la presse ? Ou bien, le devoir de contribuer eux-aussi à la sauvegarde de la paix doit-il les en dissuader ?

Votre question est claire et ma réponse essaiera de vous rendre la pareille. Je continue de penser, surtout à notre époque où les médias classiques ne tiennent pas la concurrence avec les médias alternatifs ou les réseaux sociaux, qu’il serait difficile de ne pas entendre sans les écouter les terroristes. Maintenant, je suis radicalement contre qu’on tende un micro, sauf sous la contrainte, à un terroriste.

«Si au Burkina Faso ou au Mali ou encore au Bénin, nous disposions d’un média puissant africain ou même ouest-africain qui restitue la réalité de ce qui se passe dans ces pays, en livrant un narratif authentique, nous ne serions même pas à commenter cette suspension.»

La question n’est pas morale, mais déontologique. La liberté de presse ne peut s’accommoder de complaisance envers les terroristes. D’une, ils ont leurs propres moyens de communication et par définition, le terrorisme vit et prospère de la diffusion à grande échelle de la terreur. De deux, les médias doivent, tout en préservant leur ligne éditoriale, avoir un rôle citoyen et de pacification de nos sociétés, à défaut de faire prévaloir leur neutralité.

Suggérez-vous une autre réception que les autorités burkinabè auraient pu faire de cette sortie médiatique indirecte du chef du groupe Aqmi ?

Certains éditorialistes et commentateurs des relations entre la France et certains pays africains avancent l’idée que ce n’est qu’un prétexte et que la véritable raison serait d’empêcher un média français d’exercer son devoir d’information. Mais accordons aux autorités le bénéfice d’un contexte difficile sur le plan politique et géopolitique : le Burkina essaie de lutter contre la propagation des groupes armés terroristes et tout doit être mis en jeu pour faire face à l’hydre djihadiste. Ceci dit, en diplomatie, tous les scénarii sont possiblement envisageables.

Les médias français ou étrangers ont-ils encore un avenir sûr en Afrique ?

Je commencerai plutôt par plaider avec vigueur et détermination que les pays africains puissent se doter, spécifiquement ou mutuellement, de leurs propres médias forts, audibles et puissants. Si au Burkina Faso ou au Mali ou encore au Bénin, nous disposions d’un média puissant africain ou même ouest-africain qui restitue la réalité de ce qui se passe dans ces pays, en livrant un narratif authentique, nous ne serions même pas à commenter cette suspension mais à louer le pluralisme médiatique. J’envisage cela dans un monde où nous aurons dans les pays africains, des systèmes politiques d’équilibre entre le politique et les médias. Le chemin est long mais les objectifs sont accessibles.

Dans la guerre d’influence entre la France (Europe) et la Russie, le Burkina Faso semble entretenir le flou sur son positionnement comparativement au Mali. De quel côté le voyez-vous ? 

Je veux voir le Burkina Faso du côté des Burkinabé et absolument, exclusivement, pour eux.

Finies les tutelles, elles ont trop duré ! Mais il ne suffit pas de le dire, il faut en avoir conscience et y travailler. Evidemment, le Faso doit entretenir les partenariats extérieurs qui correspondent à ses intérêts et à sa vision, mais la seule ligne diplomatique qui vaille, à Ouagadougou, à Bamako, à Alger ou à Kinshasa, c’est celle de la réelle souveraineté et du droit à se positionner par soi et pour soi.

Merci

*Régis Hounkpè est enseignant et analyste en géopolitique et directeur exécutif d’InterGlobe Conseils un cabinet-conseil international spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique. Il conseille les personnalités politiques, les États, les ambassades et consulats, les multinationales. Il intervient en géopolitique de l’Afrique en Master 1 à l’université de Reims Champagne-Ardenne, au Centre de Valorisation Professionnelle de Tunis et à l’Ecole nationale supérieure des armées de Porto-Novo au Bénin

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