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Tierno Monénembo: « La Guinée est sans aucun doute l’une des nations les moins tribales »,

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En racontant l’histoire d’un résistant africain méconnu, l’écrivain engagé rend hommage à un homme et fustige une nation oublieuse. Sévère envers les puissances occidentales, il n’en reste pas moins lucide sur son propre pays.

Tierno Monénembo aime les personnages atypiques. Après avoir conté l’épopée africaine d’Olivier de Sanderval, un Français qui devint « roi de Kahel » (prix Renaudot 2008), dans le Fouta-Djalon, au XIXe siècle, il revient avec l’histoire extraordinaire du « terroriste noir » Addi Bâ, un tirailleur sénégalais chef d’un maquis de la Résistance dans les Vosges lors de la Seconde Guerre mondiale. Un héros méconnu par une France peu reconnaissante et à qui il rend un puissant hommage (voir J.A. no 2689).

Homme de convictions qui a fui la Guinée de Sékou Touré, Tierno Monénembo n’a pas sa plume dans sa poche et n’hésite pas à s’engager, que ce soit pour condamner l’ingérence des puissances occidentales en Afrique ou pour défendre l’honneur de Nafissatou Diallo, cette « paria condamnée à raser les murs et à subir la vindicte des puissants, les regards des vicelards et les chuchotements des bigots » (Le Point du 2 juin 2011).

Alors qu’il termine l’écriture de son prochain roman, sur Cuba, l’auteur de Peuls a décidé de rentrer au pays natal. Une terre qui lui a terriblement manqué pendant ses quarante-deux années d’exil et qui nourrira le livre suivant, « une fiction sur la douleur guinéenne depuis 1958 à travers la vie d’une jeune fille d’aujourd’hui ». Interview.

Jeune Afrique : Comment avez-vous découvert Addi Bâ ?

Tierno Monénembo : Dans la presse au début des années 2000, lors de la remise à titre posthume de sa médaille de la Résistance à sa famille. Lorsque j’ai terminé l’écriture du Roi de Kahel, je me suis dit que son histoire était complémentaire à celle de Sanderval. L’un quitte la France pour se mêler à l’histoire des Noirs en Guinée, l’autre quitte la Guinée pour se mêler à l’histoire des Blancs en France.

Comment avez-vous procédé pour en apprendre davantage sur son histoire ?

J’ai eu beaucoup de chance. Un journaliste vosgien, Étienne Guillermond, avait entendu dire que je m’intéressais à l’histoire d’Addi Bâ. Sa famille l’avait hébergé à Tollaincourt, le vrai nom de Romaincourt. C’est même lui qui avait gardé son Coran et ses archives. Et il a créé un site qui lui est dédié [addiba.free.fr, NDLR]. Je me suis rendu ensuite dans ce village, où j’ai rencontré des protagonistes de l’histoire. Les éclairages sont divers selon l’âge qu’ils avaient à l’époque et selon leur proximité. Tout cela m’a aidé à créer du flou, car je ne voulais pas faire quelque chose d’historique.

Quels souvenirs a-t-il laissés auprès de cette population ?

Celui d’un véritable héros, d’un fils du village, d’une personne charismatique, mystérieuse, respectable, qui avait une vie un peu cachée mais qui s’est très bien comporté dans la vie quotidienne, comme dans l’Histoire. Il est très respecté.

Avez-vous rencontré des membres de la famille d’Addi Bâ ?

Oui, j’ai rencontré l’un de ses parents. Il connaissait très peu de choses sur son aïeul, il m’a néanmoins fourni le nom du village dont Addi Bâ était originaire.

Addi Bâ est un Noir devenu résistant. Je crois que c’est le seul cas de ce genre. Il a été chef de la Résistance, tout de même !

Addi Bâ est donc plus connu dans les Vosges qu’en Guinée ?

Oui. En Guinée, on sait juste qu’il est venu en France et qu’il s’est fait tuer par les Allemands.

Pourquoi vous appuyer sur des personnages historiques pour fonder votre fiction ?

Olivier de Sanderval et Addi Bâ m’ont intéressé parce que ce ne sont pas des personnalités historiques classiques mais de véritables personnages de roman. Sanderval est romanesque à l’excès. Il a trop de fantasmes, de bouillonnement intérieur, d’idées contradictoires qui le traversent. Addi Bâ est pareil. Ce n’est pas le tirailleur sénégalais classique ni le résistant français classique. C’est un Noir devenu résistant. Je crois que c’est le seul cas de ce genre. Il a été chef de la Résistance, tout de même ! C’est exceptionnel. Il lui a fallu beaucoup de courage, d’abnégation…

La réalité est plus forte que la fiction alors ?

Non, je dirais l’inverse. Car ces deux personnages ont une dimension fictive naturelle. Il est assez exceptionnel qu’un Noir dans la France des années 1940 arrive dans un village et soit accepté. Malgré sa différence, il est devenu un héros du canton – mais pas de la France, ce qui est extrêmement regrettable. L’État français n’a jamais reconnu ses héros noirs. Les camarades d’Addi Bâ qui ont été abattus avec lui ont été automatiquement reconnus comme résistants. Pas lui. Cela pose un grand problème à la morale de la République française. Depuis, grâce au travail et à l’engagement des démocrates, des citoyens, cette erreur a été réparée. La République française doit reconnaître la valeur de chacun de ses enfants. Et Hollande qui arrive au pouvoir en France sous l’aune de Jules Ferry, le père du colonialisme…

Pourquoi avoir choisi un point de vue français, celui d’une vieille Vosgienne qui s’exprime en patois, pour raconter l’histoire de ce soldat guinéen ?

Je ne sais pas trop. Cela est venu accidentellement. On a tellement écrit sur la Seconde Guerre mondiale que je cherchais un point de vue original. Je crois à l’esprit des lieux : j’ai donc donné la parole à une vieille Vosgienne.

Un passage de votre roman évoque l’implication de la Grande Mosquée de Paris dans la Résistance. Vous semblait-il important de rappeler que des musulmans ont sauvé des Juifs ?

Oui, mais pas seulement des Juifs. La Grande Mosquée de Paris a été un haut lieu de la Résistance. Le recteur a joué le jeu. Il a fait semblant d’être avec les Allemands alors qu’il protégeait de nombreux résistants et beaucoup de Juifs.

Depuis janvier, vous vivez en Guinée. Trois ans après le massacre du 28 septembre, l’enquête piétine toujours. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Il n’y a pas la moindre volonté de rendre la justice en Guinée. Deux des personnes impliquées dans le massacre du 28 septembre sont des ministres d’Alpha Condé, Claude Pivi et Tiégboro Camara. Comment est-ce possible ? Alors que Gbagbo et d’autres ont été envoyés à La Haye, Dadis Camara dort tranquillement à Ouagadougou. Pourquoi n’est-il convoqué ni par la justice guinéenne ni par la CPI ? Comment voulez-vous que l’islamisme ne progresse pas ? Ce qui arrive au Mali peut se produire dans tous les pays sahéliens, sans aucun problème. L’islamisme, c’est le résultat de la fumisterie de nos États. Qu’est-ce qui a fait la nullité de nos États ? La Françafrique.

Je regrette d’avoir quitté la Guinée de Sékou Touré. Je n’aurais pas dû fuir. Si la jeunesse était restée, cela aurait été fort différent.

Au Nigeria, l’islamisme est également présent, notamment avec la secte Boko Haram. On ne peut pas en rejeter la responsabilité sur la Françafrique.

Oui, bien sûr, il y a d’autres facteurs d’explication. Le Nigeria du Nord, c’était l’empire d’Ousman dan Fodio, un conquérant musulman qui avait imposé un royaume théocratique comme dans de nombreuses régions en Afrique de l’Ouest, à l’instar du Fouta-Djalon par exemple. Il y a une clientèle potentielle dans ces régions. Et les frustrations politiques d’aujourd’hui nourrissent beaucoup les chances de l’islamisme.

L’avenir est bien sombre si l’on vous écoute !

On tombe de Charybde en Scylla. On a à choisir entre Ben Laden et les héritiers de Foccart. Pour moi, c’est la même chose. On n’a pas à choisir. Sans compter que Pablo Escobar avance également ses pions. Le trafic d’armes et de drogue prospère au Mali, en Guinée et en Guinée-Bissau. Tout cela nourrit la rébellion.

Comment la Guinée peut-elle se relever, alors ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas magicien. Le jour où nous aurons un État et des dirigeants clairvoyants, nous nous relèverons très vite, car, contrairement à ce que l’on dit, la Guinée est sans aucun doute l’une des nations les moins tribales. On est tellement mélangés dans nos familles qu’aucune guerre civile n’a pu éclater.

Qu’allez-vous faire en Guinée ?

D’abord écrire. Je suis un écrivain. Et puis parler. Je ne peux pas me taire. Je regrette d’avoir quitté la Guinée de Sékou Touré. Je n’aurais pas dû fuir. Si la jeunesse était restée, cela aurait été fort différent. Je souhaite que tous les Guinéens rentrent. Je tente un retour, pas définitivement, car la France est aussi mon pays, mais j’aimerais y vivre régulièrement et y installer ma bibliothèque. Je ferai des allers-retours. C’est un grand soulagement d’être de nouveau là, car j’y retrouve mon peuple. Mon départ m’avait asséché.

Seriez-vous tenté par une carrière politique ?

Non, je ne suis membre d’aucun parti mais je fais de la politique à ma manière : j’écris des tribunes, je parle à la radio, donne des interviews. Je dis ce que j’ai à dire.

Jeune Afrique

 

 

 

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