[dropcap]O[/dropcap]n le croyait taiseux, encore empreint d’une rigueur très militaire. Mais ça, c’était avant : l’ancien président de la transition est aujourd’hui décidé à régler ses comptes.
“L’entretien vous a-t-il plu ?” En cette fin d’interview, Sékouba Konaté donne presque l’impression d’avoir aimé l’exercice. Pourtant, lorsqu’il a pris place une heure plus tôt dans le salon du palace parisien dans lequel il nous avait donné rendez-vous, l’ancien président de la transition guinéenne a d’abord été fidèle à sa réputation de taiseux. Démarche cadencée, regard insaisissable, il est arrivé en compagnie d’un garde du corps et de son ami Tibou Camara, l’ancien secrétaire général à la présidence. Il nous a d’abord jaugés avant d’accepter de se confier. Son passé de militaire a laissé des traces.
Amaigri, il dit être de passage en France pour “raisons médicales” – il a été hospitalisé mi-septembre une dizaine de jours à l’Hôpital américain de Paris -, mais refuse d’en dire plus. Son entourage ne se montre pas plus bavard, avançant seulement du bout des lèvres que le général a parfois abusé “des petits plaisirs” de la vie. En commandant un thé à la menthe, Konaté parle de ses lectures du moment : La Vérité du ministre, d’Alpha-Abdoulaye Diallo, dit Portos, et Prison d’Afrique, de Jean-Paul Alata, deux ouvrages consacrés au sinistre camp Boiro sous la présidence du président Sékou Touré.
Ce jour-là, il évoquera ces deux livres à cinq reprises, une véritable obsession. “Ça m’a chamboulé. J’ai compris que des hommes différents se sont succédé à la tête de la Guinée, mais que le système est resté le même. Il faut faire bouger les choses !”
“J’ai lâché une véritable bombe »
C’est sa manière à lui d’expliquer pourquoi, en mars et en juillet, il s’est rendu de sa propre initiative à la Cour pénale internationale (CPI) pour rencontrer le procureur, Fatou Bensouda, et lui remettre une liste des personnes qu’il juge responsables du massacre du 28 septembre 2009. “J’ai lâché une véritable bombe” , fanfaronne-t-il. Sa manière aussi de passer outre une justice guinéenne qu’il estime « à la solde du pouvoir » et qui peine à instruire ce dossier aussi sensible que symbolique.
Retour en 2009. À l’époque, Moussa Dadis Camara est à la tête du pays depuis neuf mois. Konaté l’a aidé à prendre le pouvoir et a été nommé ministre de la Défense. C’est le numéro trois du régime, un élément clé du “système” . Le 28 septembre, Dadis donne l’ordre à une centaine de soldats d’empêcher la tenue d’une manifestation de l’opposition. Bilan : 157 morts et 109 femmes violées. “J’étais à Nzérékoré au moment des faits, se défend Konaté. Si j’avais été à Conakry, j’aurais empêché les chefs d’envoyer les hommes au stade.” Pour lui, il y a deux types de responsables : ceux qui ont donné les ordres et ceux qui n’ont pas empêché qu’ils soient donnés – les exécutants, il n’en parle pas.
Et cette fameuse liste alors ? Contient-elle les noms de Dadis Camara et des huit hauts gradés déjà inculpés par la justice guinéenne ? “Non, ceux-là sont déjà connus de tous” , tranche-t-il avant d’énumérer “les autres coupables” . “Notez bien ces noms !” insiste-t-il. Il y a là des commandants d’unité, des officiers supérieurs, des membres du gouvernement de l’époque, dont un est même encore ministre aujourd’hui…
“La pression que je mets fait bouger le monde entier et je vais bientôt retourner à La Haye” , avance-t-il fièrement. Compte-t-il coopérer un jour avec les autorités judiciaires de son pays ? “Elles n’ont qu’à aller à la CPI si elles souhaitent récupérer ma liste. Moi, on m’y a déroulé le tapis rouge.”
Déçu par la gestion actuelle du pays
Lui que l’on disait introverti, fuyant la lumière et les fastes de palais aurait-il pris goût aux égards ? En tout cas, il digère mal, selon ses proches, le manque de considération des autorités actuelles. Elles oublieraient un peu vite qu’elles lui doivent beaucoup – et notamment le fait d’être en place.
Fin décembre 2009. Visé par une tentative d’assassinat, Dadis est blessé et envoyé au Maroc pour y être soigné. Sékouba Konaté devient le président de la transition. Celui qui a conquis le surnom de Tigre pour avoir fait montre de son ardeur au combat lors des guerres à la frontière libérienne et en Sierra Leone au début des années 2000 est respecté dans les rangs.
Fils de militaire, il considère l’armée comme sa “famille” et s’engage à organiser une élection présidentielle et à laisser le pouvoir aux civils. Peu lui importe si la frange la plus éruptive des militaires y est opposée. Alpha Condé est élu fin 2010, et le général Konaté s’envole pour Addis-Abeba, où il devient le haut représentant de l’Union africaine (UA) pour l’opérationnalisation de la Force africaine en attente (FAA).
“Je ne suis jamais retourné en Guinée” , affirme-t-il aujourd’hui. S’il prétend ne pas craindre le pouvoir en place, le militaire se dit déçu par la gestion actuelle du pays. Il vit donc entre la capitale éthiopienne, où il dispose d’un logement et d’une voiture de fonction, Rabat, où il aime à se détendre dans la villa que le Maroc met à sa disposition dans le quartier huppé de Hay Ryad, et Paris, où vivent sa femme et ses quatre enfants.
Son poste à l’UA l’amène à rencontrer de nombreux présidents africains, et Sékouba Konaté l’admet sans sourciller : dès qu’il le peut, il critique violemment Alpha Condé. Il déverse le même fiel face aux diplomates américains et européens et revendique de fréquentes rencontres avec des leaders de l’opposition guinéenne… Que reproche-t-il à son successeur ? Lire la suite sur Jeune Afrique